Littérature

Code ardant

Marge Nantel – Mnemos – Prix Utopiales 2024

1-Un road movie à la « Mad Max »

Il peut paraître étrange de parler de « movie », de film, alors qu’il s’agit d’un roman, de texte, de mots. Pourtant, Marge Nantel maîtrise une écriture tellement visuelle que le lecteur ne peut éviter de voir le film se dérouler dans sa tête, en particulier au moment des scènes d’action qui sont nombreuses dans ce roman survolté.

L’intrigue se place dans un monde postapocalyptique où les réseaux informatiques ont disparu, où les restes de la civilisation se retranchent derrière les murs des forteresses que sont devenues les plus grandes villes, où des convoyeurs assurent la liaison entre elles à travers les contrées dans lesquelles la loi du plus fort prédomine, c’est-à-dire celle des armes et des voitures et motos électriques.

Quand la forteresse d’Albi est détruite, Cécile, la « boss » d’un groupe de convoyeurs, s’interroge sur la dernière livraison qu’elle a effectuée. Se pourrait-il qu’elle ait involontairement contribué à cette destruction ? Elle entraîne alors son groupe sur la piste de quelque chose qui pourrait s’avérer bien plus dangereuse qu’une « simple » rivalité entre forteresses.

2-Des personnages d’une profondeur étonnante dans ce monde de brutes.

À travers la France du Sud et l’Afrique du Nord, les rebondissements ne manquent pas dans ce scénario qui laisse peu de place à la respiration. Pour tout dire, Marge Nantel ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit, d’infiltration, de combat à distance ou au corps à corps, de poursuite en voiture ou à moto.

Pourtant, malgré cette violence liée à la survie du groupe, et à la survie individuelle, malgré cette rage dont l’origine variable prend sa source dans le passé de chacun des protagonistes, on finit par s’attacher aux personnages du groupe de Cécile, à leurs forces, à leurs faiblesses, à leurs manies…

Cécile et ses cigares, aussi prompte à cajoler son équipe qu’à leur clouer le bec d’un seul regard, mène la danse sans concessions. Charlotte « Massue » ou Blaise « Le Baril » ont des surnoms qui n’invitent pas à la philosophie quand ils interviennent pour protéger la boss. « La souris », un gars aussi agile que psychopathe, n’est heureux que lorsque ses adversaires ont les tripes à l’air. Le mégot au bec, mais pas toujours allumé, « La bouée », joue son rôle de mécano de génie. « La gomme » sait mieux que personne passer inaperçu, et « Sioux » enfin, le médic à l’œil de Lynx du tireur d’élite, a fort à faire pour raccommoder les bobos de l’équipe, pas toujours coopérative.

Tous ces personnages vivent sous les yeux du lecteur, leurs émotions sont perceptibles à tous les coins de page, leurs réactions cohérentes avec le contexte, leurs relations amoureuses ou sexuelles complètent leur psychologie par cet aspect indissociable des relations humaines en y rajoutant ce piment qui peut servir d’accélérateur ou de frein.

Et puis, il y a Endah ! Le seul survivant de la destruction d’Albi est un Ardant. Les Ardants sont des êtres humains conditionnés pour servir, la plupart du temps, de sex toys pour les Maîtres des forteresses ou de leurs invités. Mais pas seulement, et c’est ce que le lecteur découvrira au fur et à mesure du déroulement de l’histoire. Je n’en dirai pas plus à ce sujet. Cependant, Marge Nantel réussit ce tour de force de nous faire comprendre avec subtilité et une grande sensibilité comment un Ardant réagit à la fois à son codage et à son entourage. Le lecteur va se retrouver de nombreuses fois (c’est l’un des deux points de vue principaux du roman) dans les pensées d’Endah, et, comment dire ? Ce n’est pas très confortable !

Quant aux personnages secondaires, ils sont eux aussi caractérisés avec une rigueur qui montre que l’autrice ne les considère pas vraiment comme tels. Du grand art !

3-Une intrigue parfaitement maîtrisée.

Si les scènes d’actions se succèdent au rythme des tripes et des cervelles répandues, de la tôle froissée, des explosions, et même des combats maritimes, celles-ci ne sont pas là gratuitement : elles restent au service de l’intrigue, une intrigue qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la fin, et dont l’évolution est savamment dosée au rythme des révélations successives qui parsèment le roman.

Pourtant, en dépit de ce mystère dont on brûle de connaître les éléments, c’est sans doute l’intrigue psychologique qui tourne autour d’Endah qui génère le suspense le plus dramatique. Je ne peux bien entendu en révéler plus, alors, si vous voulez savoir… lisez-le !