Univers-du-cinéma

Bela Lugosi immortel

Un coffret ARTUS FILMS – Collection prestige.

Je commence par la cerise sur le gâteau : l’impeccable présentation de ce coffret qui ravira les amateurs, les collectionneurs… et les esthètes ! Sur le dessus, la photo noir et blanc de l’acteur vous fixe avec cette expression inquiétante et sombre qui le caractérise. Il semble vous défier d’oser passer la barrière de ce regard, d’entrer dans son univers, de le rejoindre dans les films qui sont proposés.

Osez-donc ! Ouvrez le coffret pour découvrir le fac-similé du fanzine Horror Picture « Le retour de Lugosi » et les cartes postales colorisées du plus sympathique effet. Vous n’avez pas encore commencé à regarder l’un des trois films du coffret, et déjà, vous êtes conquis !

Le menu du DVD est simple et agréable. Pas d’animation, pas de cri ni de bruit. Le « lac des cygnes » de Tchaïkovski vous réjouit l’oreille tandis que vous contemplez un autre portrait de Lugosi.

Entrons dès à présent dans le vif du sujet. Rien que pour vous, voici de quoi vous mettre l’eau à la bouche.

Voodoo Man (William Beaudine 1944)

Ce premier film d’environ une heure est basé sur un sujet simple : un médecin enlève des jeunes filles dans le but d’utiliser leurs âmes afin de faire revivre sa femme. Si les ingrédients restent typiques du film d’horreur classique (un docteur à la Frankenstein et de belles créatures entre ses mains) le traitement du sujet l’est beaucoup moins.

Tout d’abord, il difficile de faire rentrer ce film dans une catégorie précise. Fantastique par son propos (l’utilisation du vaudou, de l’hypnose, les zombies, la résurrection des morts), on y trouve des éléments classiques de science-fiction (le savant fou, l’appareil – magnétique sans aucun doute – à stopper les voitures à distance, la surveillance par caméra – on était quand même en 1944) et une bonne dose d’humour (des scènes récurrentes à la station-service qui tiennent du gag à répétition tout en introduisant les séquences d’enlèvement… qui n’ont rien d’un gag, les deux sbires au service du docteur, l’adjoint du shérif qui semble toujours faire la sieste au moment où l’on a besoin de lui).

Inclassable donc, même si l’on reste bien dans un contexte « thriller » où les filles émancipées feraient mieux de ne pas voyager seules ! Surtout dans les parages de Twin Falls dont le nom à lui seul fait penser au trou paumé par excellence.

Le scénario est suffisamment subtil pour que la plupart des rebondissements apportent leur lot de surprises. Les coïncidences nécessaires à l’avancement de l’intrigue ne font pas artificielles même si certaines sont prévisibles et nécessaires.

Les dialogues sont bien enlevés, les personnages sympathiques. Par exemple, la rencontre entre le héros et la demoiselle d’honneur qui vient à son mariage est un vrai plaisir.

On retrouve bien sûr dans les images l’éclairage contrasté cher aux films d’horreur et je décernerai ici une mention particulière aux yeux de Bela Lugosi et à ceux de Louise Currie (Sally dans le générique, Stella dans le film, ne me demandez pas pourquoi) lors d’une séquence où le maléfique docteur hypnotise l’une de ses victimes.

Les acteurs collent parfaitement à leur rôle. Les filles crient, le héros fait preuve de la désinvolture qu’on attend de lui, le shérif bougonne, le docteur Lugosi est grandiloquent. Il serait injuste de ne pas évoquer le rôle de composition de John Caradine en sbire niais : amoureux transi des filles zombifiées, c’est par lui que les catastrophes se produisent. A la place du docteur, cela fait longtemps que je l’aurais étranglé !

Trois clins d’œil pour terminer :

Le décalage entre les personnages du XXe siècle et la façon dont ils se costument pour le rite vaudou est savoureux. D’autant que les deux sbires rajoutent à l’ambiance en tapant mollement sur des tambours.

Le coup du gars dans sa voiture, qui n’a rien à voir avec l’histoire, mais qui est là au bon moment, m’a rappelé Tintin : « Vite ! Suivez cette voiture ». Et bien sûr le gars n’a rien d’autre à faire.

La mise en abime finale, que je ne vous révélerai pas, constitue une pirouette scénaristique fort sympathique.

On en redemande !

The mysterious Mr Wong (William Migh 1934)

Autant vous le dire tout de suite : j’ai beaucoup moins été séduit par ce deuxième film (vous ne pourrez pas me soupçonner d’avoir été acheté par Artus). J’y accolerai donc la mention : « à réserver aux inconditionnels de Bela Lugosi »

Oui ! Parce que voir notre acteur fétiche jouer un chinois tout en conservant son fameux accent, c’est quand même une curiosité.

Malheureusement, je trouve que le scénario se traîne, que la réalisation donne une impression de fouillis et que le noir et blanc manque du contraste si particulier qui renforce généralement le jeu et les traits des acteurs.

Du coup, les faiblesses de ces nanars géniaux, qui d’habitude disparaissent derrière l’ambiance, sont ici mises en évidence.

Le héros, un journaliste caricatural et prétentieux, peut se permettre de farfouiller sur une scène de crime, sous les yeux du policier de garde, sans que celui-ci y trouve à redire. Un coup de vent providentiel lui fait découvrir un indice de la plus haute importance qu’il s’empresse de conserver sur lui. Il enchaîne maladresse sur imprudence, mais, au moment où tout semble perdu, un téléphone caché sous une bâche lui sauve la mise.

Rien de très glorieux.

À moins…

À moins de prendre ce film au second degré, de le considérer comme un film parodique. Pourquoi pas ? Dans ce cas, on découvrira par-ci par-là, quelques traits d’humour.

Exemple :

Le journaliste : « Je viens pour le meurtre »

Le policier : « Il a déjà été commis. »

Ou encore la référence aux singes « I cannot see, I cannot ear, I cannot speak »

Il reste donc l’espoir que ces passages amusants, et d’autres qui parsèment le film, vous en fassent oublier les longueurs.

White Zombie (Victor Halperin 1932)

Voici maintenant, sans conteste, le meilleur morceau du coffret. Même si vous êtes un vieux routard du film fantastique, vous ne pourrez vous empêcher de frémir au son discordant du vautour qui hurle dans la nuit, comparable aux imprécations maléfiques d’une méchante sorcière.

Dès le générique, vous êtes d’emblée placé dans l’ambiance : calèche façon Dracula dans laquelle se trouve un sympathique jeune couple (les héros), enterrement haïtien en plein milieu de la route (là où il y a du passage pour éviter que le corps ne soit volé), le tout sur une mélopée lancinante du plus inquiétant effet, des yeux, enfin, qui se superposent à l’image, annonçant les ennuis dans lesquels vont se jeter nos héros.

Très rapidement va s’installer le huis clos traditionnel, mais bien angoissant : une belle propriété en Haïti, un hôte mystérieux dans une contrée mystérieuse. Et nos héros mis en garde par le missionnaire de service. Tout est prêt pour le suspens.

Le triptyque classique (mari, femme, amoureux transi) reste le moteur de l’intrigue sans pour autant tomber dans la facilité. Les personnages sont plus complexes qu’il n’y paraît : on verra le héros sombrer dans l’alcoolisme, l’amant éconduit près à tout pour posséder sa belle, mais torturé par le remord de ses actes, le serviteur fidèle pas si fidèle que cela, un missionnaire pas très catholique, bien au courant des pratiques vaudou.

Bela Lugosi tient le devant de la scène, comme il se doit, en maître diabolique des zombies.

Graphiquement, ce film est un régal. Le décor des caraïbes se prête merveilleusement à l’intrigue. À l’époque où ce film a été tourné, le comportement d’un haïtien pouvait être aussi inquiétant que celui d’un extraterrestre. Certaines séquences sont des morceaux d’anthologie : celle du moulin des zombies, servie par un cadrage efficace, et rythmée par le grincement obsédant du moulin, celle du bar, où la solitude du héros désespéré est renforcée par le fait que les autres clients n’apparaissent que sous forme d’ombres sur les murs.

Le final grandiose nous plonge dans un décor digne de l’Ecosse (je vous jure que c’est vrai). On ne peut s’empêcher de penser à Faust : Lugosi excelle dans le rôle de Mephisto. Sans oublier un aspect « conte de fée ». Étrange mélange me direz-vous, mais mélange réussi, parsemé de rebondissements et de vrai suspens. Bref ! Ça cartonne !

Comme il se doit dans un film qui crée la tension, l’humour permet au spectateur de respirer. On le trouve ici sous la forme d’un gag à répétition : le missionnaire, grand fumeur de pipe, demande à tout bout de champ, y compris dans les situations les plus inattendues : « Avez-vous une allumette ? »
C’est donc sans hésitation que je classe ce film parmi les meilleurs de Bela « Dracula » Lugosi.

Je ne terminerai pas cette présentation sans évoquer la deuxième cerise sur le gâteau de ce coffret, offerte en bonus :

Hollywood’s Dracula Ce court métrage de cinquante minutes nous offre une biographie très complète de Bela Lugosi, retraçant son parcours d’homme de théâtre puis de cinéma en Hongrie, son passage par Berlin et sa carrière aux USA. Entrecoupé d’extrait de films, d’interview de l’acteur et de ceux qui l’ont connu, ce portrait historique cerne à la perfection la personnalité de l’acteur. On ressent, à travers les propos de ses amis et relations, le charisme incroyable de cet homme qui restera marqué par son rôle de Dracula.