Rising Stars

J.Michael Straczynski – Delcourt.
Les superhéros ne sont pas immortels.

Pour la troisième fois dans ces pages (Babylon 5, Midnight Nation), je vais vous parler de J.Michael Straczynski.

En 2003, j’étais resté sur ma faim et j’en voulais à mort à ce scénariste génial, dont les derniers fascicules de Rising stars  chez Semic, n’étaient pas parus en France (ou peut-être avais-je raté une parution confidentielle, car le temps s’allongeait entre l’édition de chaque volume). Grâce à l’initiative des éditions Delcourt (que les tentacules de Cthulhu leur soient favorables), l’intégrale de la saga (plus quelques bonus) est disponible en trois volumes que j’ai savourés de A à Z.

Sur un scénario en apparence classique de superhéros, Straczynski nous emmène une fois de plus sur des sentiers non battus dont lui seul connaît les méandres. Jugez-en plutôt (ce que je révèle ne concerne que le tout début de la série) :

Pederson, petite ville des États-Unis est percutée par une étrange boule de feu qui ne cause aucun dégât. Cependant, tous les enfants in utero à l’instant du flash se révèlent posséder d’étranges pouvoirs après leur naissance. L’histoire de ces 113 « spéciaux » nous est racontée par l’un deux, le poète. C’est le seul à pouvoir le faire. En effet : « Personne n’a vu l’histoire entière. Personne ne peut raconter. Moi seul le peux. Moi seul ai survécu ».

Nous voilà prévenus : ça va mal finir ! On retrouve, une fois de plus, l’habitude de l’auteur de nous révéler la fin de ses histoires dès le début. Et, comme d’habitude, les surprises ne manquent pas, que ce soit dans le déroulement du scénario ou dans le final que je trouve de toute beauté. Ce qui commence façon « enquête policière » finit par concerner la Terre entière et se conclut en apothéose… je n’en dis pas plus.

Straczynski est un grand scénariste, c’est incontestable. Loin de tomber dans le piège de la rallonge-des-séries-qui-marchent, cher aux Comics, il nous livre une construction classique, mais efficace (introduction, développement, climax, conclusion), sans jamais chercher à en rajouter, ce qui rend pertinents chaque élément, chaque péripétie, chaque personnage. Fidèle à lui-même il insère de petites histoires dans la grande sans jamais en perdre de vue le fil conducteur. Enfin, il pousse le génie jusqu’à évoquer des personnages secondaires par l’intermédiaire des héros principaux, de telle sorte qu’on ne puisse pas les oublier (même si on les croise à peine au détour d’un dessin). Et c’est tout naturellement que, le moment venu, le lecteur découvre la mise en place d’une pièce cruciale de ce puzzle scénaristique, sans avoir l’impression de l’intervention d’un deus ex machina.

Qu’en est-il de l’ambiance ? Contrairement à Midnight Nation, le scénariste nous propose ici une vision résolument optimiste de l’être humain (si ce n’est de l’humanité — notez la nuance), et ce, malgré les conflits qui ne manquent pas d’émailler le récit. Mais, loin d’une vision à l’eau de rose ou de l’énervant happy end américain, il s’agit d’une vraie philosophie de la vie à laquelle on sent qu’il a envie de croire.

Oui, il y a de l’émotion ! Parce que nos 113 spéciaux, on finit par les aimer, malgré leurs trahisons, leurs bassesses, leurs faiblesses, leurs renoncements, leurs excès… Ou à cause de cela justement, à cause de ces sentiments auquel tout être humain est susceptible d’être confronté un jour ou l’autre.

On pourra m’objecter que le superhéros tourmenté est à la mode depuis plusieurs années. C’est exact, à la différence que le superhéros tourmenté traditionnel est souvent un solitaire. Et si d’aventure un groupe de superhéros intervient dans une histoire, il s’agit la plupart du temps de la somme d’énergies solitaires. Nos 113 spéciaux constituent un groupe à l’origine et partant, sont liés par nature. C’est la toute la puissance du scénario… mais là encore je ne peux en dire plus.

Côté dessin, il n’y a heureusement pas trop de changement d’un épisode à l’autre. Par goût personnel je préfère ceux de Keu Cha qui débutent la série à ceux d’Anderson qui la terminent, moins précis à mes yeux et dont l’encrage est plus lourd. Il n’en reste pas moins une cohérence appréciable et de beaux moments graphiques, en particulier dans les combats. On y rajoutera quelques trouvailles de mise en page (par exemple dans l’épisode « Le monde entre les mondes ») dont je vous laisse la surprise. Il y a donc beaucoup de choses dans cette série, et chacun y trouvera matière à réflexion en fonction de ses propres goûts. Tout comme le visage de Chandra (l’une des spéciales) apparaît à celui qui la contemple comme celui de la plus belle femme du monde, laissez-vous envoûter par l’histoire des 113 spéciaux qui n’avaient pas demandé à devenir des superhéros.