Midnight nation

J.Michael Straczynski – SEMIC.
Une histoire d’amour en enfer.

Si vous êtes des fidèles de mes articles, vous vous souviendrez sans doute que je vous ai déjà parlé de J. Michael Straczynski, le scénariste génial de l’incontournable série TV : Babylon 5. Mais saviez-vous que notre homme est également scénariste de Comics ? Midnight nation comprend douze épisodes publiés chez Top Cow et repris chez SEMIC pour l’édition française, en six fascicules de deux épisodes.

D’abord la bonne nouvelle : c’est le dessinateur Gary Frank qui s’est occupé du dessin d’un bout à l’autre de la série. Je ne sais pas comment font les américains, mais moi, j’ai beaucoup de mal à suivre une histoire dessinée avec des héros qui changent de tête à tout bout de champ. Imaginez que Blueberry soit un jour dessiné à la façon d’Astérix… Non mais j’vous jure ! Dans Midnight nation, ce n’est pas le cas et cela contribue grandement à l’unité de l’histoire que l’on suit avec passion d’un bout à l’autre.

De quoi s’agit-il ? Je vais vous brosser un tableau rapide de la situation sans pour autant dévoiler l’essentiel de l’intrigue. David Grey, inspecteur de police, enquête sur un crime sordide. Alors qu’il est sur le point de découvrir quelque chose d’essentiel, il est pris à partie par une horde de fantômes grimaçants et se retrouve tout droit à l’hôpital. C’est là que tout bascule. A son réveil les personnes du monde réel lui semblent transparentes et il ne peut plus avoir de contacts avec elles. Il rencontre alors Laurel, une jeune femme autoritaire et tourmentée, dont les propos sibyllins ne font qu’épaissir le mystère. Elle lui révèle qu’il se trouve dans le lieu intermédiaire, où tous les oubliés du monde se retrouvent, les laissés pour compte que plus personne ne voit. Dans ce lieu, on ne peut se servir que des objets cassés, jetés ou abandonnés. Le cas de notre héros est un peu particulier : on lui a volé son âme et il dispose d’un an pour la récupérer, faute de quoi il deviendra l’un des marcheurs, ces fantômes grimaçants et fort peu sympathiques. Guidé par Laurel, il s’engage dans une longue marche entre Los Angeles et New York, sorte de quête initiatique qui l’amènera bien plus loin qu’au fond de lui-même.

Pour cette série, Straczynski se réapproprie les éléments fondamentaux des religions judéo-chrétiennes, mais ne les utilise que comme éléments de décor pour nous offrir une réflexion profonde sur la condition de héros, le dépassement de soi, le renoncement, l’amour, la peur de vivre, la souffrance qu’engendrent les meilleures intentions, le désespoir qui nait de l’observation du comportement humain et de l’état du monde. En fin de compte, il reste ces questions : l’espoir est-il un leurre ? En quoi réside notre humanité ?

Oulà ! Me direz-vous. Qu’est-ce qu’il se la complique ! Oui ! Et plus que vous ne le croyez ! Car le scénario lui-même est un modèle de construction. Le lecteur se prend d’affection pour David et l’incompréhension dans laquelle il patauge jusqu’à la fin, ainsi que pour Laurel et ses souffrances physiques et psychiques. C’est le fil conducteur du récit. Mais, à l’instar des séries bien construites, la longue marche des héros est émaillée de mini-histoires dans l’histoire, qui donnent corps à l’univers du scénariste. Certaines de ces histoires ont un rapport direct avec le héros, d’autres sont des parenthèses qui donnent matière à réflexion.

Un des tours de force de Straczynski est de nous donner la fin avant la fin (on y retrouve d’une certaine manière les tours de passe-passe auxquels il nous avait habitués dans Babylon 5). Il révèle au deux tiers de l’histoire ce qui va se passer et, malgré tout, cette fin parvient à nous surprendre (ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus).

Rajoutons (car il s’agit quand même de bande dessinée) que le dessin de Gary Frank est efficace et sans concession sur les scènes choc. Bref ! Ça bouge et ça vaut d’ailleurs la mention « pour lecteurs avertis » sur certains fascicules (et je vous aurai donc avertis !). Laissez-vous emporter par l’aventure de David Grey et de l’étrange Laurel. Avec ou sans philosophie, vous n’en sortirez pas indemne.