L’insoutenable immobilité de l’univers
(Et pourtant elle tourne…)
On vous le dit, on vous le répète : tout bouge dans l’univers ! La lune tourne autour de la Terre, qui elle-même tourne autour du soleil. Des comètes traversent nos nuits et disparaissent aux confins du système solaire. Le soleil tourne autour du centre de la galaxie, la galaxie tourne autour du centre de gravité de l’amas local. Des nuages de gaz, issus d’explosions d’étoiles s’étendent dans l’espace à des vitesses inimaginables. L’univers lui-même est en expansion, toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres, entraînées par l’accroissement du continuum spatiotemporel.
Et pourtant…
Bien sûr, si vous observez le ciel nuit après nuit, vous constatez que le soleil, la lune et les planètes visibles à l’œil nu, changent de position. Qu’en est-il des étoiles ? Avez-vous remarqué une variation, même minime, de la géométrie de la Grande Ourse et des autres constellations ? Non ! La figure du ciel nocturne reste figée et mérite bien son nom de « sphère des fixes » telle que la nommaient nos lointain ancêtres.
Pire !
S’il y a deux mille ans, à l’époque de Ptolémée, les grecs avaient possédé nos télescopes de pointe, à de rares exceptions, le ciel leur apparaitrait identique à celui que nous connaissons aujourd’hui. Certaines photos publiées dans la presse donnent cette impression de mouvement, mais si l’on reprend la même image cent ans plus tard, elle n’aura pas varié.
Nous aurait-on menti ? Où sont ces nuages en expansion, ces télescopages de galaxies, ces naissances d’étoiles ? Car enfin, le vocabulaire utilisé pour caractériser ces événements est bien le vocabulaire du mouvement : déplacement, trajectoire, révolution, rotation, collision, agitation, expansion…
Il faut se rendre à l’évidence : les mouvements dont nous parlons durent des millions d’années. À l’échelle d’une vie humaine, les grandes structures de l’univers restent fixes. Désespérément fixes ! Notre vision de l’espace est comparable à celle d’un extraterrestre qui aurait pris une seule photo de la surface de la Terre, photo extrêmement détaillée mais ne lui permettant que des hypothèses sur l’analyse qu’il en fait en rentrant chez lui. Les chimpanzés et les êtres humains sont-ils deux stades de la vie d’une même entité ? Les animaux marins jouent-ils pour la mer le même rôle que les globules rouges dans le sang ? Les montagnes sont-elles une création artistique de la civilisation ? Les gratte-ciel sont-ils des formes particulières de cristallisation ? On peut supposer que notre extraterrestre pourrait bien se faire des nœuds aux tentacules (que Cthulhu le protège) avant de démêler le vrai du faux dans ses suppositions.
Une question surgit de ce constat : comment nos géniaux astrophysiciens en sont-ils arrivés à comprendre (en partie) le fonctionnement de cet univers en apparence immobile ? Je vais essayer de vous l’expliquer simplement.
1-Hypothèses de travail.
Ils sont partis de deux hypothèses qui pour n’avoir pas été formellement démontrées, n’ont jamais été remises en cause par quoi que ce soit. L’univers est homogène et isotrope.
Homogène : les propriétés physiques de l’univers sont identiques en tout point. Si je reproduis une expérience sur une autre planète, dans une autre galaxie, j’obtiendrai les mêmes résultats.
Isotrope : les propriétés physiques sont les mêmes dans toutes les directions. J’obtiendrai les mêmes résultats en observant vers le nord ou vers le sud.
Pour résumer : la Terre n’est pas un point d’observation particulier. Quel que soit l’endroit de l’univers d’où je me place et quelle que soit la direction dans laquelle j’observe, les conclusions de mes expériences seront identiques. On n’a pas pu le démontrer pour la bonne raison qu’on n’a pas encore pu aller voir dans une autre galaxie comment ça se passait, mais on imagine déjà quelques moyens d’avancer dans la confortation de ces hypothèses. Et puis, tout bon scientifique se refuse à croire qu’il est le centre du monde… n’est-ce pas ?
2-Véhicule de l’information.
Tout (enfin presque tout) ce qui est observé provient du rayonnement électromagnétique. La lumière visible ne représente qu’une infime partie de ce rayonnement. C’est pourquoi il existe un grand nombre d’instruments qui permettent de recueillir des images dans d’autres longueurs d’onde (gamma, X, radio…).
C’est l’analyse de ces rayonnements qui permet, non seulement de détecter les mouvements de ce qui nous parait immobile (en particulier grâce à l’effet Doppler utilisé par les radars pour mesurer la vitesse des voitures), mais aussi de nous renseigner sur les zones traversées par ce rayonnement. Un exemple simple sur ce dernier point : par grande chaleur, vous avez sans doute déjà aperçu des mirages, cette illusion qu’il y a de l’eau sur la route. Il s’agit simplement d’une image lointaine réfléchie comme dans un miroir par les couches d’airs de différentes densités. Cette image (véhiculée par la lumière, je le rappelle encore), nous donne à la fois des indications sur l’objet lointain que nous percevons, et sur la nature des couches d’air traversées par cette lumière.
Grâce aux hypothèses de travail citées plus haut, nous considérons que l’image des phénomènes lointains peut être analysée en référence à ce que nous connaissons ici.
Et voilà comment, sans bouger de notre bonne vieille Terre, sans prétendre rallonger notre vie dans des proportions impossibles, nos scientifiques sont capables de comprendre les mouvements de l’univers et par là, son évolution.
Mais restons modestes. À l’instar de notre extraterrestre, nous avons pu faire des erreurs dans l’interprétation de ce que nous observons. L’astrophysique possède encore de belles nuits devant elle.