De l’amour et du hasard

Manu Boisteau – Casterman

Voici une bande dessinée complètement inclassable, sauf à créer l’étiquette « philosophie sociale satirique », ce qui risquerait (à tort) de rebuter certains lecteurs.

Nous allons suivre sur près de 200 pages, sans une once d’ennui, les tribulations d’un personnage bourré de complexes, partagé entre son désir de publier un livre correct, et celui de trouver l’âme sœur, car, disons-le tout net : sa vie sentimentale est plutôt chaotique. Le problème est que cet écrivain dans le creux de la vague semble persuadé que ces deux activités sont incompatibles au point de rater les occasions qui se présentent dans un des domaines comme dans l’autre.

Manu Boisteau se sert de ce personnage pour dépeindre avec finesse, justesse, et humour les travers de la société actuelle et des individus qui la composent. L’entourage de cet antihéros est composé de personnages aussi variés dans leurs comportements que constants dans leur désir d’aider l’écrivain à sortir de l’impasse. Bien entendu, chacun ira de son conseil, lié à son expérience de vie ou à la philosophie qui lui est propre.

Les échanges entre les divers protagonistes sont essentiellement composés de dialogues incisifs. Les bulles se répondent du tac au tac, pourtant, on aurait tort de considérer ces discussions avec légèreté. Il s’en dégage une profondeur qui pousse à la réflexion, parfois au détour d’une répartie inattendue et comique.

La métaphore de l’écrivain sur une île déserte fantasmée est fort bien trouvée. Ces passages s’intercalent dans la trame principale tout en la poursuivant et en la complétant. Par ce biais, Manu Boisteau nous fait pénétrer au cœur des angoisses et des désirs du personnage. De cette métaphore ainsi que d’autres réflexions qui parsèment l’histoire émanent une indéniable poésie.

Le dessin est agréablement épuré, un peu à la manière de Wolinsky, et la couleur, volontairement irrégulière, fait partie intégrante de la narration : elle traduit l’émotion véhiculée par une case ou par un personnage.

Rajoutons que deux passages entièrement textuels sont peut-être une forme de mise en abîme du créateur et de sa créature… ou pas ?

Dois-je encore préciser que j’ai passé un excellent moment ?