Noir c’est noir

On a perdu 95% de l’univers.

Quand le père Einstein a déclaré « E=mc2 », les scientifiques ont applaudi, et c’est la seule formule que le grand public a retenue, sans forcément comprendre de quoi il s’agissait. Cette formule toute simple décrit l’équivalence entre la matière et l’énergie. En d’autres termes : on peut convertir de la matière en énergie (dans une centrale nucléaire par exemple) ou de l’énergie en matière (c’est ce qui s’est passé aux premiers âges de l’univers).

Comme chacun le sait (sinon je vous l’apprends), rien ne se perd, rien ne se crée. Dans un système fermé (qui n’a aucun échange avec l’extérieur), quelles que soient les réactions qui s’y produisent, les transformations de particules, etc., le bilan énergétique final est le même au début et à la fin. C’est d’ailleurs l’un des aspects de la chasse aux particules : quand, dans un accélérateur, on fait se rencontrer des particules d’une énergie donnée, la somme des énergies des particules résultant de cette collision doit être identique à l’énergie totale de départ.

Pourquoi je vous dis ça ? Mes petits amis, l’univers dans lequel vous vivez (et moi aussi) est un système fermé. J’entends par univers, la totalité de ce qui existe, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. On déduit de ce que j’ai indiqué plus haut que la totalité de la matière et de l’énergie présentes dans l’univers actuel l’étaient déjà au moment du big bang, voire avant, si tout au moins cet « avant » peut avoir un sens au regard des connaissances actuelles.

Ces considérations sont bien utiles pour décrire l’évolution de l’univers depuis les premières picosecondes jusqu’à nos jours. Quel que soit le modèle utilisé, il doit prendre en compte cet aspect.

Mais il y a un hic ! Et même deux !

1-Matière noire

La quantité de matière et d’énergie présente dans l’univers est donc un élément important pour la description des modèles d’évolution de cet univers. Et puis, un jour, on a fait une surprenante constatation. Avant de vous en parler, laissez-moi vous faire un petit rappel à travers un exemple.

La Terre tourne autour du soleil. Newton (un scientifique qui, paraît-il, s’intéressait aux chutes de pommes) a parfaitement décrit ce mouvement (on se passera aujourd’hui des virgules qu’Einstein a rajoutées au calcul). Ce mouvement résulte d’un équilibre entre la force d’attraction exercée par le soleil sur la Terre et la vitesse de la Terre. Pour être tout à fait précis, la Terre et le soleil tournent autour d’un centre de gravité commun, mais le mouvement du soleil est négligeable, car sa masse est beaucoup plus grosse que celle de la Terre. Ce qui est intéressant dans cet exemple, c’est que l’on est capable de calculer la masse de l’ensemble en connaissant la vitesse de rotation de la Terre et sa distance au centre de rotation.

C’est exactement comme cela que l’on calcule la masse des galaxies : en mesurant la vitesse de rotation des étoiles autour du centre galactique. Mais il existe un autre moyen de calcul : une méthode statistique basée sur le nombre d’étoiles contenu dans la galaxie et leurs masses individuelles moyennes. Cette dernière méthode est basée sur l’observation des étoiles et des galaxies. En toute logique (et aux virgules près), les deux méthodes devraient aboutir au même résultat.

Eh bien non ! La méthode des vitesses donne un résultat environ cinq fois plus grand que la méthode des masses moyennes. Comme la méthode des vitesses n’est pas contestable (enfin si ! Certains l’on fait avec une théorie controversée appelée MOND, mais ça nous entrainerait trop loin), cela veut dire que ce que l’on voit (les étoiles qui brillent) ne constitue pas la totalité de la masse : il existe de la matière invisible. C’est la fameuse matière noire.

De quoi peut bien être constituée cette matière qu’on ne voit pas ? Il est clair (si j’ose dire) que les étoiles visibles ne constituent pas l’intégralité de la matière. Citons pour mémoire les nuages de gaz interstellaires, les naines brunes (petites étoiles sombres difficilement détectables), les trous noirs… On sait à présent à peu près ce qu’ils représentent en masse supplémentaire. Ce n’est pas suffisant.

Cherchons du côté des particules. On a longtemps cru que le neutrino n’avait pas de masse. Songez que des milliards de neutrinos vous traversent chaque seconde, dont certains ont traversé la Terre de part en part sans coup férir. On a récemment mis en évidence que les neutrinos ont quand même une masse très faible. Et comme il y en a beaucoup, est-ce que ça ne pourrait pas être ce que l’on cherche ? Ce n’est toujours pas suffisant !

Reste la solution d’une particule inconnue qui pour le moment échappe à la sagacité de nos scientifiques. C’est l’une des missions du LHC (large hadron collider) qui joue aux auto-tamponneuses avec tout un tas de particules à de très hautes énergies. Rappelez-vous : c’est cet anneau de 30 km de circonférence, entre la Suisse et la France, qui a confirmé l’existence du boson de Higgs.

Ce boson pourrait d’ailleurs constituer l’une des pistes conduisant à la compréhension de la matière noire. Mais il faudra être patient.

2-Energie noire

Parlons à présent du deuxième hic. Depuis le big bang, l’univers est en expansion. Cela veut dire que la quantité d’espace augmente et donc la distance entre les galaxies. Compte tenu de la gravitation (générée par tous les objets massiques comme les galaxies), cette expansion devrait progressivement se ralentir. C’est ce qu’on a cru jusque vers les années 90.

Grave erreur ! Au contraire, cette expansion s’accélère, comme si une force invisible contrecarrait la gravitation. Et voilà notre énergie noire.

3-Bilan

Ben, les gars (et les filles), on est mal ! La part de l’énergie noire représente 68 % de ce que contient l’univers. La matière noire, elle, se contente de 27 %. Ce qui laisse un petit 5 % pour la matière visible. Vous avez bien lu : l’ensemble des théories physiques existantes ne concerne que 5 % de l’univers ! On n’a pas la moindre idée de ce qui constitue les 95 % restant. Ils sont fous ces chercheurs !