Dark City

L’univers angoissant d’Alex Proyas.

« Au commencement étaient les ténèbres. Puis vinrent les étrangers. Leur race venait du fond des temps. Ils avaient maîtrisé l’ultime technologie, la capacité de modifier la réalité physique par la seule volonté. Ils appelaient cette capacité : syntonisation. Mais ils mourraient ! Leur civilisation déclinait. Ils abandonnèrent leur monde et cherchèrent un remède à leur propre mortalité. Leur interminable voyage les conduisit vers un petit monde bleu dans le coin le plus reculé de la galaxie : notre monde ! Ils pensaient enfin avoir trouvé là ce qu’ils recherchaient.

Je suis le Docteur Daniel Paul Schreber. Je ne suis qu’un homme. J’aide les étrangers à mener leurs expériences. J’ai trahi ma propre espèce ! »

En entendant Kiefer Sutherland prononcer ces phrases d’introduction au film d’Alex Proyas, on a le sentiment que tout a été dit, que l’histoire vient d’être résumée en quelques mots, qu’il ne reste plus aux protagonistes qu’à s’agiter à l’intérieur d’un cadre tracé par avance tels des pantins dans un décor de marionnettes. Pourtant, le travelling vertical qui sous-tend cette introduction depuis le ciel étoilé jusqu’au cœur d’une ville plus sombre que l’espace, l’aspect physique du Dr. Schreber et jusqu’à son nom à consonance germanique, nous replongent inconsciemment au cœur des heures les plus tragiques de notre histoire : on pense à « Metropolis » de Fritz Lang et, puisqu’il s’agit d’occupation, nous voilà avec un personnage qui vient d’avouer être un collabo !

Puis la caméra zoome sur la montre de Schreber et nous quittons soudain notre univers familier pour un récit qui ne nous lâchera pas jusqu’à la fin et la surprenante conclusion.

Le génie d’Alex Proyas est de nous attirer à l’intérieur du film avec des réflexes quasi-pavloviens liés à notre passé historique puis de nous mener jusqu’au bout de son propre univers sans que nous ayons la possibilité de nous enfuir.

Qu’est-ce donc que ce « Dark City » l’un des deux meilleurs films de Science-fiction (avec « Bienvenue à Gattaca ») sortis en France en 1998 ?

Dark city porte bien son nom.

Il faut, bien sûr, parler de l’aspect graphique de ce film : le décor lui-même est un personnage tant il est présent (et pesant) dans chaque scène. Murs décrépis, électricité défaillante, jeux d’ombre à la Hitchcock, c’est bien du passé dont il s’agit dans ce scénario de Science-fiction. Ce sentiment est renforcé par le côté rétro de tous les objets (vieux téléphones des années 50, micro à cage métallique). Certaines scènes sont de vrais  tableaux reprenant les stéréotypes américains d’anciens films ou de vieilles photos : bar à jazz, hôtel borgne… On retrouve là les grands classiques du  polar noir.

Et pour ajouter encore à l’atmosphère oppressante, le costume des étrangers, leur comportement, leur façon de s’exprimer suffisent à créer l’angoisse : on repense à la Gestapo et, aujourd’hui, à Matrix, film sorti l’année suivante mais dont on peut se demander s’il ne s’est pas inspiré de Dark City pour certains de ses aspects.

Les références sont multiples dans la partie visuelle de Dark City (j’aurais pu encore citer Brazil) mais leur agencement est unique et donne à ce film une originalité inégalée à l’époque où il est sorti.

L’intrigue.

On trouve-là tous les ingrédients d’une intrigue policière classique : serial killer, flic intègre, anti-héro et belle héroïne, indices, pistes et fausses-pistes, paranoïa… Mais dès les premiers moments de l’histoire, l’un des éléments du puzzle (la carte postale de la plage de Shell Beach) crée le décalage qui amène la trame principale et que je ne révèlerai pas ici.

Contrairement à certains scénarios où le suspens est créé par le fait que le spectateur connaît des éléments que le héros ignore, ici on suit les héros pas à pas. Et si, en rassemblant les connaissances des divers protagonistes on peut obtenir une vue d’ensemble légèrement plus complète, les éléments importants sont distillés au fur et à mesure ce qui maintient l’attention jusqu’au bout. On peut tout au plus (quand on a l’habitude des intrigues complexes) se poser des questions pertinentes avant les personnages, mais c’est pour se rendre compte rapidement que l’un au moins des personnages s’est posé la même question et l’exprime peu après à voix haute.

Enfin, même si l’humour n’est pas l’objectif principal du film, on en découvre quelques touches comme au moment ou l’un des personnages fracasse une vitre derrière laquelle est suspendue une pancarte « closed ». Le choc retourne la pancarte et c’est maintenant « open » qui apparaît à travers le verre brisé.

La quête de l’identité.

Je ne peux pas conclure sans parler de l’aspect Dickien de ce film. Les amateurs du grand écrivain de SF s’y retrouveront (ou plutôt s’y perdront car il n’y a jamais de vérité ultime avec Philip K. Dick). On évoquera ici (sans trop déflorer le sujet) : la perte de la mémoire, la folie qui est parfois au bout de la vérité, la recherche de la signification de sa propre humanité (nos souvenirs suffisent-ils à nous définir en temps qu’êtres humains ?)…

Sans contestation possible, Dark City est un grand film à voir et à revoir !