Héroïnes pour demain et après

Type : Nouvelles
Genre : Science-fiction
Couverture Hubert de Lartigue
Parution : septembre 2019 / Editions Voy'[el]
Format : papier et numérique

Sommaire :

Ces héroïnes (au caractère bien trempé), ce sont celles imaginées par Patrice Verry et réunies pour la première fois dans ce recueil. Venez découvrir, à travers l’espace et le temps, les aventures riches en rebondissements de ces femmes hors du commun, qu’elles soient pilotes de gigantesques vaisseaux spatiaux, exploratrices de planètes primitives, victimes ou instigatrices de complots tortueux… Les sept nouvelles proposées ici vous entraîneront dans un futur qui ne vous laissera pas indifférents.

L’adrénaline, je ne sais pas ce que c’est !
Une seule chose compte lorsque j’attends ma cible : l’arme. Si le mécanisme a été huilé, la lunette soigneusement montée, les munitions vérifiées et le chargeur enclenché, je peux oublier jusqu’aux battements de mon cœur. Je peux oublier que je suis une femme et que je suis payée pour ôter la vie.
Dans ce travail, il n’y a pas de place pour la peur, l’excitation, ni tout autre sentiment parasite. Seules subsistent la concentration, la précision des gestes, la détermination. C’est un métier parfait. Il ne peut y avoir d’erreur. Ou plutôt : il suffit d’une pour vous mettre au chômage. Définitivement.
J’ai trente-quatre ans, dix missions à mon actif, mais aujourd’hui, allongée sur le ventre dans la poussière de cette mansarde, les yeux fixés sur la ruelle par l’entrebâillement des persiennes, je sais qu’il n’y aura pas d’autres occasions. La pression des genoux de l’inconnu sur mes reins me dissuade de faire un seul geste. À la base de mon crâne, il y a la mort. C’est dur, métallique et le calibre importe peu. Un petit déplacement du doigt de mon agresseur suffira pour que ma cervelle et mon sang éclaboussent le sol. Serai-je consciente de cette fraction de seconde au cours de laquelle je mourrai ? Cette question purement rhétorique est dominée par une autre, d’ordre plus pratique :
Pourquoi suis-je encore en vie ?
« Vous connaissez aussi bien que moi la liste des maladies génétiquement transmissibles, poursuivit le directeur. La description de certains symptômes, même avec le vocabulaire des époques étudiées, a permis au département d’approfondir nos connaissances en remontant plus loin que les débuts de la génétique. »
Jonsked rabattit sur son crâne chauve l’unique mèche qui lui restait, et qu’il mettait un point d’honneur à ne pas couper. Puis se pencha vers le menton de Vergaï.
« Mais de ce fait, le DAS a mis en évidence de façon collatérale, un aspect auquel nous n’avions pas pensé. Savez-vous pourquoi nos ancêtres avaient tort ? »
Vergaï fronça les sourcils. Elle connaissait trop bien les méthodes de Jonsked, et avait une envie furieuse d’interrompre ses explications fumeuses.
« Dites-moi seulement quand vous m’envoyez.
— Début XVIIe. »
Cool ! Ça va me faire de vraies vacances, songea-t-elle. Puis elle réalisa. De la génétique au XVIIe siècle ?
Alors qu’elle s’apprêtait à poursuivre son chemin, un mouvement à l’avant de l’Eridania attira son attention. Quelque chose s’agitait juste à côté de l’unité de transmission hyperspatiale que les pilotes appelaient « le nez ». Pour autant qu’elle puisse en juger à cette distance, il ne s’agissait pas d’une navette de service. Elle ajusta mentalement l’échelle pour se faire une idée de la taille de l’objet.
Saint Hubble ! Ce truc mesure au moins dix mètres !
Son cœur se serra et la peur l’envahit quand elle se rendit compte que la chose possédait une forme humanoïde.
Une attaque ?
Elle ne connaissait aucune race capable de se déplacer dans le vide en l’absence d’appareillage de survie. Sans parler de sa taille !
Des heures d’entraînement l’avaient habituée à prendre des décisions rapides pour faire face à des situations aussi variées que dangereuses. Une seconde lui suffit pour localiser l’armoire blindée de service, à proximité de la navette magnétique. Elle s’y précipita, plaça ses yeux et ses paumes aux endroits prévus et patienta une seconde. Les portes de l’armoire coulissèrent en silence. La jeune femme hésita à peine devant le râtelier d’armes, avant d’opter pour un SG34 dont la taille ne laissait pas supposer la légèreté. SG34-41, rectifia-t-elle en constatant que les modifications relatives à la reconnaissance vocale avaient été incluses. Elle ajusta les sangles du space-gun sur son épaule et autour de sa taille, tout en prononçant cinq mots clés afin de permettre la prise en compte du profil de sa voix. Un voyant vert et un léger ronronnement lui confirmèrent que le SG était opérationnel. L’ensemble de la manœuvre lui avait pris moins d’une minute. Elle porta de nouveau son regard vers l’extérieur. L’humanoïde fonçait dans sa direction. Dans moins de trente secondes, il aurait percuté le module d’interconnexion. Elle enclencha la pressurisation de sa combinaison. Le casque se verrouilla automatiquement.
— Défense maximum, lança-t-elle à l’adresse du SG.
Gixyliane sentit avec satisfaction et une pointe d’excitation que l’arme ajustait ses paramètres pour répondre à son ordre. À présent, la bouche du monstre, ouverte sur deux rangées de dents écarlates et pointues, se distinguait avec netteté. Ses yeux injectés de sang ne laissaient aucun doute sur sa détermination. Vingt secondes avant l’impact, Gixyliane déclencha l’alerte générale. Puis elle épaula le SG et mit l’agresseur en joue.
Elle fuyait depuis des jours et des nuits. Sa cinquième monture allait bientôt mourir d’épuisement, comme les précédentes. Elle-même ne valait guère mieux.
L’objet bleu palpitait contre sa poitrine, lueur glacée sur le cuir fauve de sa veste.
Et derrière… ou devant peut-être… ils étaient là ! Quelque part. Poursuivants ou guetteurs. Omniprésents…
L’attaque suivante surgit d’un buisson jaune. D’une torsion du poignet, elle fit décrire à son épée une courbe harmonieuse qui traça une gerbe de sang au travers du visage de l’assaillant.
Combien avec celui-ci ?
Combien de morts pour l’objet ?
Combien, Sonia ?
Elle serra les dents pour ne pas laisser remonter la boule au fond de sa gorge. Puis elle ne pensa plus à rien, car la grotte était en vue.
Le Spacion à deux cents mètres !
Le choc lui arracha un hurlement qui s’étouffa dans le sang qu’elle cracha.
Ariane tendit machinalement la main vers la table de nuit. Elle avait encore oublié d’arrêter ce fichu réveil. Non ! C’est l’entrée ! réalisa-t-elle, l’esprit ensommeillé. Elle ouvrit complètement les yeux. Il était huit heures. Trop tôt pour un samedi. Trop tôt pour ce samedi ! Stéphane l’avait achevée hier soir. Elle n’avait qu’un vague souvenir du moment où il l’avait quittée, pourtant, elle se sentait détendue et lucide. Faire l’amour avait toujours été pour elle une excellente thérapie, lui permettant d’oublier le climat d’anxiété permanent qui désagrégeait le monde : un exercice paradoxal contre la nature même de l’angoisse. Elle repensa à la façon dont elle s’était laissé aller, abaissant toutes ses défenses, et en éprouva des sentiments mitigés. Ce sacré macho était bien capable de s’en vanter !
Elle passa une main sur son visage et bâilla. Il ne fallait quand même pas être trop difficile. Stéphane était un amant plus que satisfaisant et possédait un fond naturel de gentillesse : une qualité plutôt rare chez les hommes d’aujourd’hui.
Le motif musical retentit une fois encore.
Elle se dressa sur un coude. Une fugitive sensation de panique s’empara d’elle quand elle aperçut le verre d’eau sur sa table de nuit. Puis elle se souvint qu’elle l’avait à nouveau rempli après leurs ébats. Elle devait être trop lasse pour le boire entièrement. Par acquit de conscience, elle vérifia la boîte de pilules Anti-Syndrome : cinq ! Je devrais éviter ce genre de frayeurs. Pas bon pour débuter le week-end.
Le carillon se fit pressant, impératif.
— J’arrive ! cria-t-elle, agacée.
Capucine laisse errer son regard sur l’horizon. La jeune fille se sent bien, en résonance avec son environnement. Elle a oublié quand cela a commencé, oublié les raisons qui l’ont poussée à venir jusqu’ici, oublié comment elle y est parvenue. Seul le plaisir compte en cet instant unique. De multiples sensations se sont insinuées en elle et la font frissonner, entrouvrir les lèvres sur un soupir quasi extatique, tant est grand son désir de beauté et d’harmonie. C’est comme faire l’amour avec la Nature, s’y soumettre, en être possédée et investie. L’impact sur sa personne est puissant, à la limite de la jouissance, de la fusion, de l’effusion.
Tout à l’heure, quand elle a ouvert les yeux, l’arbre le plus proche se détachait en ombre chinoise sur les pastels de l’aurore. Le fouillis de ses ramifications lui a fait penser aux bronches torturées d’un poumon géant. Capucine sourit de cette comparaison. Si l’Homme a toujours su intuitivement que la planète respire par ses végétaux, il n’y a qu’un peu moins d’un siècle qu’il a pris conscience de ce que cela implique.
Elle chasse ces pensées parasites par crainte d’altérer le spectacle du ciel. Les teintes se délavent au rythme de l’accroissement graduel de la luminosité. Le souvenir de chaque seconde passée se superpose à la variation suivante, imperceptible évolution évoquant l’art du contrepoint transposé dans cette symphonie visuelle.
Au centre de la plaine magmatique, inerte et froide, Li-Yane-Eï frissonne malgré l’absence de contact direct avec son environnement. Une angoisse métaphysique envahit la jeune fille quand elle distingue la petite étoile blanche, qui n'émet plus assez de puissance pour réchauffer la surface de la planète où elle se tient.
Ai-je découvert le berceau de l’humanité ? songe-t-elle.
Des larmes mouillent ses joues. L’apocalypse n’est pas la fin brutale d’une civilisation, c’est la disparition inéluctable et lente de la planète qui la porte, au travers des milliards d’années de son évolution et de celle de son soleil ! C’est beaucoup plus terrifiant que la longue litanie des cataclysmes annoncés à travers les millénaires par les gourous de tous les temps. Si cette planète a connu des épisodes cataclysmiques, il n’en subsiste à présent qu’une surface désolée, sans vie animale ni végétale, et dont les reliefs ne sont constitués que de scories grisâtres qui se fondent à l’horizon en une lisse et désespérante uniformité.
Li-Yane-Eï jette un regard sur sa chronorbe. Les chiffres qui y sont inscrits dépassent l’imagination : onze milliards d’années, l’âge de la naine blanche et vingt milliards d’années, celui de l’univers. Mais ces chiffres ne sont rien au regard de ceux qui mesurent la durée du futur. Un vertige la saisit en songeant à cet infini qui attend le sarcophage à jamais inaccessible derrière son champ de stase.